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Ma vie à l'école

Dernière mise à jour : 4 oct. 2024

Un petit récit de vie (formule "un instant de", 1h) pour relater les années passées à l"école d'une personne âgée de 63 ans.




« Je voulais rester avec maman ». Ni l’école ni les maîtresses n’y pouvaient rien. Je n’affectionnais pas cet endroit et encore moins les heures passées dans cet univers presque hostile et qui m’éloignaient profondément de ceux que j’aimais. Ma mère, mon père. Les résultats scolaires ne suivaient évidemment pas non plus. J’ai détesté les mathématiques jusqu’en terminale et les autres disciplines ne m’intéressaient pas davantage. L’un des seuls objets que j’ai néanmoins précieusement conservé de cette période est l’ouvrage de lecture de CP. C’est grâce à lui que j’ai accédé à de nouveaux mondes, au savoir et à l’imaginaire. Que j’ai grandi. Même si je me suis éloignée des livres durant mon adolescence, cela a été pour mieux y revenir un plus tard dans ma vie. C’est donc un objet que j’affectionne particulièrement et qui me relie encore un peu à cette période.
Si l’on ne pouvait pas qualifier mes bulletins de notes de satisfaisants jusqu’en 6e, c’était aussi pour une autre raison. Pas vraiment cancre mais pas vraiment douée non plus, ma place a longtemps été au fond de la classe. C’était bien pour le chauffage mais nettement moins lorsqu’on est myope, et même très myope. Une visite médicale en CM2 m’avait permis d’y voir plus clair et d’améliorer ainsi mes résultats. La disparition de mon père en CM1 m’avait probablement fait rentrer dans le droit chemin plus rapidement. Pour ne pas faire de vague, pour tenter d’oublier peut-être aussi. Toujours est-il que le reste de ma scolarité s’était déroulée sans heurt jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat, sans trop savoir quoi faire car ce n’était pas l’objectif principal à l’époque. Seule une élève avait une idée d’avenir : « Moi je veux être maîtresse ». C’était en réalité la petite-fille de l’institutrice. Les clichés avaient en effet la peau dure dans les années 60.
Les routines et les codes scandaient ainsi parfaitement nos journées écolières. À commencer par nos tenues. Munie de tabliers et même de chaussons, notre communauté de filles pouvait ainsi travailler proprement et sérieusement avec des maîtresses qui se pliaient aussi à ce style vestimentaire. La journée commençait par un certain nombre de rituels : l’écriture de la date au tableau, la lecture quotidienne de la morale. Il fallait aussi vérifier que le réservoir à encre était plein. Les plus malicieuses y camouflaient parfois de la craie en faisant une sorte de pâte impossible à liquéfier par la suite ce qui agaçait évidemment les voisines et l’institutrice. Mais c’était rigolo. On écrivait encore à la plume lorsqu’elle n’était pas rivée dans son encrier en porcelaine blanche. C’était un exercice périlleux car il fallait tout doser : l’encre contenue par la plume, celle déposée sur la feuille pour éviter les « pâtés » que nos fameux buvards tentaient d’éponger. L’écriture était elle aussi mesurée, calibrée. « Les pleins et les déliés » de nos plumes Sergent Major nous mettaient dans la peau de fameux calligraphes surtout lorsque nous reproduisions les lignes infinies de lettres dans nos cahiers. L’époque était à la répétition. On répétait les lettres, on répétait les leçons d’histoire-géographie que l’on devait restituer au mot près, on recopiait les lignes lorsqu’on était punis : « Je ne mangerai plus de bonbons en classe ». Bref, on apprenait. Lorsque nos résultats étaient à la hauteur ou dépassaient les attentes institutionnelles, nous récoltions des bons points. Au bout de 10, nous pouvions aller voir la maîtresse pour accéder à notre graal : l’image. Représentant souvent un animal ou une fleur, cette récompense venait à bout de nos efforts nous apportant la satisfaction du bon travail accompli. La récompense ultime était liée à notre fameux cahier rouge. Celui-ci contenait les compositions et les évaluations importantes. À ce moment-là, plus d’image mais un petit livre, gage de notre réel investissement et de notre réussite. En revanche, les élèves les plus dissipées et indisciplinées ne récoltaient qu’un passage au coin, stigmate des temps passés. Sans bonnet d’âne ni admonestation humiliante. Après le temps consacré aux apprentissages, venait celui des récréations qui ponctuaient nos jours d’école. La marelle et son petit caillou qui faisait tinter le goudron une fois tombé à terre, les rondes musicales, les comptines telles que « le meunier prend sa femme » ou autre jeu du foulard (pas celui d’aujourd’hui) dégourdissaient nos jambes et détendaient l’atmosphère. Quelques années plus tard, la corde à sauter et le jeu de l’élastique eurent raison de nos jeux enfantins. J’ai en effet beaucoup sauté dans cette cour d’école du centre-ville de D…….
De cette période, je garde des évocations et quelques souvenirs. Certaines odeurs m’auront marquée à jamais. Celle de la craie qui laissait une poussière sèche dans nos mains moites. Elle pouvait crisser quand elle était désaxée ou lorsqu’on était agacé et clapoter frénétiquement à mesure que nos réponses apparaissaient. Rangée dans nos boîtes en fer, elle s’endormait silencieusement jusqu’à l’exercice suivant. Sur nos feuilles, l’encre de nos plumes prenait la relève avec cette odeur forte et presque métallique que je n’oublierai pas. Parfois elle tachait nos cartables qui jouaient leur partition lorsqu’on sortait nos affaires. Tout ceci formait la petite musique de nos studieuses journées.
Quelques évènements venaient néanmoins rompre notre quotidien. Les absences ponctuelles des enseignantes nous permettaient d’aller dans d’autres classes et nouer d’autres amitiés, d’autres affections. C’était d’ailleurs à cette occasion que je m’étais retrouvée en CM2, assise près de celui qui était alors mon amoureux. S………. R……... Nous avions alors échangé nos images de communion, reliques de nos amours fugaces. Au-delà de ce garçon et de deux amies en CE1, je ne me souviens pas avoir tissé de relations indéfectibles à cette époque-là. À une exception près. En CM2, nous sommes partis deux semaines en classe de neige dans les monts Jurassiens ce qui était une première pour moi. Maman était même venue me voir avec des amis le dimanche intermédiaire. J’avais appris à skier et avais même obtenu ma première étoile. Mais j’avais surtout su aller vers les autres et faire de ce voyage un moment inoubliable. Tout comme le départ à la retraite de la directrice de l’époque. Je ne la connaissais pas plus que cela. Toute l’école avait chanté « Adieu monsieur le professeur ». J’étais rentrée chez moi et j’avais pleuré.
J’avais appris à lire, à écrire, à compter. Je n’avais pas toujours aimé cela, c’est vrai. Mais j’avais appris à grandir et savourer ces petits riens qui nous semblent insignifiants à un moment donné mais qui, aujourd’hui, veulent dire beaucoup.


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